Comme lors du procès en première instance, l’assemblée de Montpellier contre les violences d’État avait appelé à un rassemblement pour soutenir Farid. La salle d’audience était comble, et on comptait d’autres soutiens devant le palais de justice, totalisant une cinquantaine de personnes. Avant l’arrivée de Farid, le public a assisté médusé à d’autres affaires jugées par visioconférence dans une ambiance kafkaïenne, les prévenus jugés depuis leur prison se plaignant de la mauvaise transmission audio, dans l’indifférence généralisée. Farid est finalement arrivé, les traits du visage durcis, mais porteur d’un large sourire à la vue du public, rappelant ô combien la solidarité fait du bien aux prisonniers.
D’emblée, le juge a rappelé son casier judiciaire – essentiellement des condamnations pour dégradations lors de manifestations – avant de lire les chefs d’accusation, ce qui a pris un certain temps. Il est accusé d’avoir cassé des distributeurs de banques, des panneaux publicitaires et des vitrines de banques et de multinationales, dont McDonalds, lors des manifestations de gilets jaunes à Montpellier. Farid a globalement reconnu les faits, mais il aura fallu l’aide de son avocat pour que l’on comprenne ses paroles, provoquant une certaine irritation chez le juge, qui a répété « vouloir entendre de vive voix » le prévenu. Le dialogue ne pouvait qu’être compliqué : d’un côté des magistrats de la cour d’appel, bourgeois parmi les bourgeois, perchés sur leurs sièges luxueux, habitués aux dorures du palais, et de l’autre Farid, précaire, un temps SDF, en lutte viscérale contre un système capitaliste qu’il honnit.
Traque policière
Le conseil de Farid a commencé les hostilités en listant des nullités, c’est-à-dires des vices de procédures. Saisine des vidéosurveillances par un officier de police judiciaire non mandaté par les autorités judiciaires, qualification imprécise des parties civiles, exploitation des caméras piétons par des policiers non habilités, motivations insuffisantes pour l’ouverture d’une enquête de flagrance, arrivée tardive du médecin en garde à vue : l’avocat s’est donné du mal, mais le juge a décidé de « joindre la forme au fond », formule magique systématiquement employé par les magistrats pour éviter d’avoir à pinailler sur le droit.Le juge a ensuite lu les procès-verbaux de police relatant la traque de Farid. Aperçu en train de casser lors de manifestations, il a échappé de justesse à une première arrestation le 16 mars, grâce au soutien physique d’autres manifestants. Il s’est finalement fait interpeller la semaine d’après par des policiers déguisés en gilets jaunes, porteurs de bermudas et de chapeaux de paille. Dans la foulée, les policiers se sont vantés d’avoir arrêté un « leader » et ont revendiqué avoir mené cette « filature » organisée par une « cellule spécifique d’investigation de 5/6 personnes accompagnées d’un expert en cybercriminalité », de l’aveu même du directeur départemental de la sécurité publique de l’Hérault, Jean-Michel Porez. Un policier avait tranquillement expliqué qu’ils ont « même pu discuter avec [Farid], se faire passer pour des petits nouveaux venus pour casser » (France 3, 27/03/2019). Des méthodes pour le moins douteuses, la loi interdisant aux policiers d’inciter au délit dans le but interpeller, qui en disent long sur les libertés que s’octroient les forces de l’ordre pour réprimer les manifestants, dans l’impunité la plus totale.
« J’ai cassé des banques pour lutter contre le capitalisme »
Après le récit des événements, globalement approuvé par toutes les parties, Farid a été invité à s’exprimer sur ses motivations. Assisté par son avocat, il a fini par expliquer ses positions : « J’ai vu des gens se prendre des coups de LBD pour rien. Casser, c’est le seul moyen de se faire entendre. Les banques, c’est un symbole du capitalisme, elles poussent les gens à la précarité ».« Bref, de l’idéologie quoi » tranchera le juge, avant de donner la parole à un assesseur inspiré, qui a cherché à savoir « pourquoi être venu avec un marteau de charpentier », comme s’il eut été plus judicieux d’opter pour un marteau de soudeur ou de boucher. Le juge a ensuite tenté en vain de faire parler Farid sur son enfance, mais il n’a finalement eu que le maigre rapport de l’enquêteur de personnalité à se mettre sous la dent, qui a relaté « un parcours précaire ». Farid a fini par ajouter qu’il ne touchait pas d’aide sociale et vivait de la récup’.
L’avocate générale, représentante du parquet, s’est levée pour une réquisition bien fade à l’issue de laquelle elle a réclamé trois ans ferme à l’encontre de Farid, avec maintien en détention, « sa situation matérielle, familiale et sociale empêchant tout aménagement ». L’avocat de Farid a conclu les débats en évoquant « la droiture du combat de Farid en faveur de la justice sociale », une situation politique « au bord d’une révolution », avant de demander la clémence de la cour.
Au moment de la clôture de l’audience, le public s’est spontanément levé pour crier sa solidarité avec Farid, au grand désarroi des magistrats. Une scène émouvante qui a visiblement touché Farid à en croire son large sourire et son haussement de sourcils. Les soutiens se sont déplacés jusqu’aux abords du parking du palais pour continuer à réconforter l’accusé. Le délibéré sera rendu le 5 septembre. D’ici là, Farid reste en prison.
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