Le président ds'est rendu vers midi dans le village de Cozzano, à une heure de route d’Ajaccio. Les 360 maires de l’île ainsi que les parlementaires et dirigeants de la collectivité ont été invités et environ 130 maires ont répondu présents, selon les associations de maires.
Si cette dernière étape est un hasard du calendrier, selon l’Élysée, elle a été loin d’être la plus facile pour le chef de l’État. Car depuis sa visite tendue l’an dernier, ses relations avec les nationalistes, vainqueurs des élections territoriales, ne se sont pas améliorées.
Si l’accueil s’annonce glacial, Emmanuel Macron ne devrait toutefois pas trouver sur sa route un grand nombre de gilets jaunes, comme ce fut le cas à Angers ou en Haute-Savoie lors de ses précédents déplacements dans le cadre du grand débat.
De fait, “le mouvement a été moins spectaculaire et a beaucoup moins pris que sur le continent”, explique au HuffPost le sociologue Jean-Louis Fabiani, auteur du livre “Sociologie de la Corse”.
Les raisons de la colère existent pourtant sur l’Île de Beauté: avec un prix de l’essence systématiquement plus cher que sur le continent (10 à 15 centimes de plus pour un litre en moyenne), des produits alimentaires 7 à 8% plus coûteux, un taux de pauvreté qui atteint les 20%, les revendications sociales sont encore plus fortes en Corse.
Mais “l’expression publique corse a toujours pris des formes particulières, répond Jean-Louis Fabiani. Il y a par exemple une vraie différence avec les gilets jaunes sur les ronds-points sur le continent, où les gens viennent aussi chercher de la sociabilité et de la solidarité. En Corse, ce lien est déjà très présent dans les familles et les villages, et s’exprime moins sur la place publique.”
“On ne voit pas trop la pauvreté en Corse, elle reste très cachée, parce qu’il existe ces liens de solidarité entre habitants et de l’orgueil aussi”, décrit-il encore.
Un pas en avant avec la conférence sociale de janvier 2019
Un autre sentiment domine aussi sur l’île de Beauté selon le sociologue: ici, quel que soit le sujet sur la table, “on ne doit pas s’aligner sur le continent. Beaucoup de Corses ne veulent pas être la remorque de celui-ci”.“En Corse, on est très ethnocentré, abonde le sociologue Thierry Dominici interrogé sur France 3 Corse. (...) En raison (notamment) du rapport centre-périphérie, on part du principe que ça concerne le centre, et puis dans le discours des mentalités nationalistes, on aime souvent rappeler que finalement, c’est, peut-être, une nouvelle affaire franco-française ou simplement française”.
Selon des témoignages d’insulaires compilés par Corse-Matin, “le mouvement (des gilets jaunes) a été miné par la division, l’incapacité à se structurer, l’éternelle pudeur d’une Corse dans ses rapports à la précarité, jusqu’au rejet d’un élan ‘trop français’”, résume le quotidien régional.
La conférence sociale du mois de janvier, décidée par la Collectivité de Corse, peut elle aussi expliquer la mobilisation moindre des gilets jaunes sur l’île. Élus, représentants d’associations et gilets jaunes y ont trouvé un premier terrain d’entente pour améliorer le niveau de vie sur le territoire.
Joint par Le HuffPost, le député autonomiste de Haute-Corse Jean-Félix Acquaviva, allié de Gilles Simeoni, y voit une réponse politique apportée par les nationalistes corses qui a permis d’endiguer la colère des gilets jaunes.
“On a lancé (cette) conférence sociale et territoriale avec deux sujets prioritaires: les prix des carburants et les prix des marchandises. Un accord a été signé sur une baisse des prix de près de 240 produits pour les mettre au niveau minimum national. Sur le prix des carburants, il y a eu une demande de transfert de compétences à la collectivité pour réduire les marges et baisser la TVA. Cette mesure est soutenue par les gilets jaunes corses.”
“Il y a donc un phénomène de convergence entre gilets jaunes, autonomistes, syndicats et entrepreneurs”, synthétise l’élu, en renvoyant la balle dans le camp d’Emmanuel Macron, à qui les nationalistes reprochent de ne pas tenir compte des conclusions de leur conférence. Au risque de faire resurgir les violences qui ont longtemps rythmé la vie des corses.
Le retour de la violence?
La casse, que l’on a pu voir notamment lors de manifestations de gilets jaunes à Paris ou à Bordeaux, s’est d’ailleurs exprimée d’une autre façon en Corse. Elle a pris ces derniers jours la forme d’une série d’explosions ou de tentatives d’attentat qui ont fait monter la tension.Le week-end avant sa venue en Avril, deux villas ont ainsi été plastiquées, à Sagone et Venzolasca. Lundi, ce sont des charges, qui n’ont pas explosé, qui ont été découvertes devant deux bâtiments des finances publiques à Bastia. “Un coup de semonce contre la fiscalité dictée par le gouvernement”, estime le sociologue Jean-Louis Fabiani.
Déjà, dans la nuit du 9 au 10 mars, alors que la visite présidentielle était d’abord attendue le 19 mars -avant que l’Élysée ne l’annule-, six résidences secondaires avaient été ciblées. L’île n’avait pas connu de telles actions violentes coordonnées depuis décembre 2012.
“Le niveau d’incertitude est maximal en Corse actuellement, selon Jean-Louis Fabiani. On est un peu au point de croisement des chemins et un retour à l’action clandestine reste possible”.
En cause: l’impatience croissante des Corses et des nationalistes face à leurs requêtes d’une plus grande autonomie fiscale et législative.
“Il est prématuré de parler de résurgence de violence politique, même si certains faits vont dans ce sens, nuance côté le député autonomiste Jean-Félix Acquaviva, convaincu d’avoir “un choix irréversible vers la démocratie.”
Pour autant, “le déni du gouvernement d’un dialogue ouvert avec les nationalistes, cette condescendance présidentielle, les rendez-vous manqués, tout cela n’a fait qu’alimenter les tensions”.
Parmi les rendez-vous manqués, la venue d’Emmanuel Macron en février 2018 pour un hommage au préfet Érignac mort 20 ans plus tôt, reste dans toutes les têtes des élus locaux.
Des nationalistes “humiliés” en février 2018
André Fazi, politologue et maître de conférences à l’université de Corse, résume cette visite présidentielle au HuffPost:“Ce déplacement a été compris par les nationalistes non seulement comme une fin de non-recevoir, mais comme une volonté de les humilier. D’abord à Ajaccio lors du discours d’hommage au préfet; puis à Bastia où les élus locaux ont été fouillés au corps au vu de tous, avant d’écouter un discours écartant toutes les principales demandes de la nouvelle majorité territoriale et annonçant par moments une sorte de reprise en main étatique.”
Le sociologue Jean-Louis Fabiani y a vu lui “un point de bascule” après une visite “ostentatoire” du président. Ce jour-là, “l’arrogance macronienne a touché de plein fouet la susceptibilité corse”, analyse-t-il.
Selon lui, “la venue de Macron permet aux deux fractions nationalistes (Inseme per a Corsica, le parti non violent de Gilles Simeoni; et Corsica libera, qui ne condamne pas la lutte armée, NDLR) de se retrouver, en s’opposant de manière unique au pouvoir central”. Malgré tout, “beaucoup de Corses restent anti-nationalistes, et beaucoup de gens qui ont voté pour les nationalistes sont aujourd’hui déçus par leur politique et s’interrogent sur leurs capacités à exercer au gouvernement régional.”
Le député Jean-Félix Acquaviva estime lui que “la population croit encore au projet politique” des nationalistes, notamment avec cette opération ”île morte” le jeudi 4avril de midi à 18h. Il note surtout la “responsabilité” des nationalistes qui tendent la main à Emmanuel Macron dans l’espoir d’un compromis. Mais il met en garde: “Ce sera un point de départ. Si (cette visite) n’est pas suivie d’effets, nous prolongerons nos actions. Il n’y aura pas de renoncement.”
Les dirigeants nationalistes, qui avaient annoncé boycotter cette dernière étape du grand débat avec Emmanuel Macron en Corse, l’ont “invité” mercredi à venir ”échanger” jeudi matin à l’Assemblée de Corse. Une invitation rapidement refusée par le chef de l’État. L’Élysée a toutefois ajouté que “le président de la République est tout à fait disponible pour un échange avec MM. Simeoni et Talamoni à Cozzano ou à Paris dès qu’ils le souhaiteront”.
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